Beauté parade

Sylvain Pattieu

Plein Jour

  • Conseillé par
    16 avril 2015

    Un documentaire littéraire ?

    La dénomination "document littéraire" a excité ma curiosité et m'a amenée à découvrir le livre de Sylvain Pattieu. La narration est un étonnant patchwork dont la trame principale est le récit chronologique d'une grève de travailleurs sans-papiers. L'auteur habite le dixième arrondissement de Paris, près du boulevard de Strasbourg " le pays du cheveu, de l'ongle, du soin à petit prix". La plupart des salons de beauté qui s'y trouvent emploient des étrangers en situation irrégulière. Tout le monde le sait, tout le monde se tait , business is business !

    Sept employés du VIP, 50, boulevard de Strasbourg, vont rompre cette "omerta" qui ne dit pas son nom. Le 10 février 2014, la grève est décidée pour obliger le patron à verser les salaires qu'ils attendent depuis des mois. Sylvain Pattieu découvre presque par hasard ce conflit et va le suivre jusqu'à son dénouement, l'obtention soixante-quinze jours plus tard du récépissé préfectoral qui va permettre aux travailleurs d'obtenir leurs papiers.

    Ce livre ressemble à un carnet de notes où seraient consignés les propos des employés , des membres de la CGT, des clients, des soutiens de passage. Ces propos évoquent aussi bien leur vie personnelle que leur métier ou la grève en cours.

    "Lin Mei : le patron, décembre et janvier, il ne paye pas, et puis ensuite il est parti. Il a dit qu'il paierait tout le monde le 25 janvier. Et là, rien, et puis le 28, il est parti. Il est en Côte d'Ivoire, on dit. On n'en sait rien. On continue le travail, on se paye. Il y a sept personnes qui travaillent ici. Cinq Chinois pour les ongles, deux Africaines pour les cheveux. On veut tous être régularisés.

    Elie : Les Ivoiriennes et les Chinoises, il y a la barrière de la langue, c'est sûr, mais ça n'empêche pas des contacts. J'ai des photos où on est tous autour de la table. J'en ai même une où les soutiens et les Ivoiriennes mangent avec des baguettes, les Chinoises avec des fourchettes."

    L'auteur vient régulièrement rendre visite aux grévistes et se documente sur leurs métiers, sur le" milieu " de la beauté à prix cassés et la réflexion se fait plus générale. L'historien, voire l'économiste pointe le bout de son nez et resitue cette grève dans un contexte plus large : celui d'un commerce mondialisé et de plus en plus dérèglementé.Cela donne des pages presque "techniques" qui ne manquent pas d'intérêt.

    D'autres passages du livre sont plus personnels, il est en position d'observateur dans cette boutique mais pas un observateur neutre. Son regard est influencé par ses convictions politiques, par ses lectures, par sa culture.

    "Il n'y a pas que dans la vie, dans les livres aussi on coupe, on vend les cheveux, on tond les crânes. Fantine, dans Les Misérables, est renvoyé de sa fabrique à la fin de l'hiver, elle a confié Cosette aux Thénardier, ils réclament dix francs pour une jupe de laine, elle entre alors chez le barbier. "Son or était sur sa tête et ses perles étaient dans sa bouche", écrit Hugo, admirables cheveux blonds et belles dents blanches, coupez-les, dit-elle au barbier...Elle achète une jupe en tricot, elle dit "Mon enfant n'a plus froid, je l'ai habillée de mes cheveux".

    Un documentaire littéraire serait donc cet objet "protéiforme" qui "brasse" le général et le particulier, l'intime et le professionnel, le politique et le culturel...

    Une lecture hors des sentiers battus que je vous recommande !



  • Conseillé par
    18 février 2015

    Dans le 10e arrondissement de la capitale au 50 boulevard de Strasbourg, le patron d'un salon de coiffure-manucure a pris la clé des champs sans payer ses sept employés. Quatre Chinoises, un Chinois ( le seul homme) et deux Africaines tous sans-papiers. Décidés à ne pas baisser les bras, ils entament une grève. Nous sommes en février 2014.

    Un travail pour 500 ou 600 Euro par mois payés en liquide et à eux d'acheter les produits nécessaires. A chacun sa spécialité : à l'étage, les Africaines s'occupent des cheveux et au rez-de-chaussée, les Chinois manucurent. Les tresses, les extension capillaires (qui viennent d'Inde et non pas du Brésil), les odeurs de solvants et de vernis sont leur quotidien. Il s'agit d'une grève pour la dignité : avoir ses papiers et être reconnu. Soutenus par la CGT, les employés occupent les locaux et continuent de travailler. Avant, les deux Africaines et leurs collègues Chinois s'ignoraient mais dans cette lutte, tout le monde est sur le même bateau et l'union fait la force. Sylvain Pattieu ne raconte pas que cette grève. Il donne la parole à ces six femmes et à cet homme, aux clientes (et aussi aux clients qui viennent pour les ongles), à Raymond de la CGT qui en vu d'autres.


    On découvre un monde où la beauté est reine mais surtout la vie de ces sans-papiers et celui d'un quartier. Et ce qui frappe, c'est qu'il n'y a pas d'auto-apitoiement quand chacun parle de sa vie, des raison de sa venue en France. Et la pudeur s'invite naturellement pour évoquer le pays et la famille.

    On est littéralement projeté dans ce salon de beauté, on entend les accents, le bruit. Un récit haut en couleurs avec de l'humour également mais aussi la face cachée de ce travail clandestin prospère pour les patrons. Une économie souterraine qui commence à l'autre bout du monde où l'on vend ses cheveux pour survivre. Et la spirale des sans-papiers avec des exemples concrets : Au bout d'un moment ça dérape, lassitude, boulot à côté de la fac,décrochage. Marre. Avoir la carte de séjour pour avoir la carte étudiant, avoir la carte d'étudiant pour avoir la carte de séjour. Supplier alternativement Préfecture et secrétariat, jusqu'à ce que l'un des deux craque. Déprime passagère. Lâcher prise. Lâcher la fac. Continuer à servir des bières, tant pis. Pas de renouvellement.

    Trois mois de grève leur ont donné raison. Trois mois où pas un seule jour la solidarité aura été absente. Un combat principalement féminin mené avec de la volonté et de la détermination.
    Si un récit soulève bien des questions, il n'en demeure pas moins qu'il fait chaud au coeur ( avec ce sentiment que l'individualisme n'a pas gagné)!